Confrontées à une détérioration sans précèdent de leur image, les banques se sont engagées dans un exercice d'empathie et de transparence avec leurs clients. Les campagnes de BNP Paribas “Parlons vrai, Vous avez de vraies questions, aujourd'hui une banque vous donne les vraies réponses” et du Crédit Agricole “Le bon sens a de l’avenir” l’illustrent.
Mais au-delà de l'exercice marketing, certes méritoire et nécessaire, la capacité des banques à expliciter et rendre compte de leur activité relève du domaine de l'extrêmement difficile.
Cela est du à :
- La logique de massification qui est difficilement compréhensible par le client final
- Le caractère secret et arbitraire de l'activité bancaire qui relève des attributions règlementaires des banques
- La distorsion entre la représentation règlementaire et l'expérience de la réalité.
La logique massification
La banque traditionnelle est basée sur la « massification » entre les flux collectés et les projets financés. Cette massification a des avantages : elle joue un rôle de transformation des caractéristiques de risque, rendement et échéance des actifs. Ce qui est le rôle fondamental des banques. Elle réalise la transformation entre de petits montants collectés et des gros montants financés, entre des dépôts de court terme et des financements de long terme, entre des collectes avec un faible niveau de risque et des projets à fort niveau de risque. Elle a aussi des inconvénients intrinsèques : manque de transparence et de traçabilité des fonds apportés pour le déposant, absence de contrôle de l’affectation des fonds, couts d’intermédiation importants et faible personnalisation des produits proposés (le coté "boite noire" des produits d'épargne). Ces caractéristiques sont assez naturellement liées au caractère de fongibilité de l'argent et des actifs financiers qui fonde la logique de massification. Cette logique conduit les banque à raisonner en terme d'actifs consolidés sans distinction ("ségrégation") des actifs unitaires qui en sont sous-jacents. A la base même, les banques ne collectent donc pas l'information élémentaire non financière sur les activités qu'elles financent. Elles ne disposent pas plus de capacité d'exploiter les données qui leur permettraient cette traçabilité granulaire et multicritères de leurs actifs sous-jacents voire d'utiliser ces données pour regrouper et gérer de manière fine ces actifs.
Le caractère secret et arbitraire, attribut règlementaire des banques
Rien n'interdit réellement à une banque d'être transparente et de baser ses choix sur des critères explicites et affichés. Dans la réalité ce n'est pas le cas car la règlementation offre aux banques toutes possibilités de ne pas le faire. Et la situation est même pire, car la régulation (règlementation + action du régulateur + jurisprudence) promeut une interprétation stricte de ces principes que les banques, privilégiant toujours la prudence, appliquent avec zèle. Le secret bancaire, initialement conçu pour protéger les clients, sert ainsi à s'opposer à toute communication d'information jugée non pertinente (à l'image du "secret défense"). La complexité inhérente à l'activité fait le reste pour considérer comme non pertinent un large champ d'information indépendamment de ce que le client pourrait (hypothétiquement) en penser. Le régulateur est, en outre, attaché à ce que les banques puissent, sans avoir à donner d'explication, arbitrer sur l'opportunité ou pas de distribuer des produits financiers et plus particulièrement les crédits afin de garder toute latitude d'orienter les politiques des banques qu'il supervise.
La distorsion entre la représentation règlementaire et l'expérience de la réalité
La règlementation a tendance, et plus particulièrement en France pays de tradition jacobine peu enclin à la responsabilisation personnelle, a considérer le consommateur comme un être passif, dépourvu de toute initiative et devant être protégé indépendamment de sa volonté. Dans cette perspective, la règlementation pousse à l'adoption d'une lecture très simplificatrice des produits financiers par les clients. Cette approche a cependant été fortement remise en cause par la crise qui a mis à mal un certain nombre de ses présupposés.
- Le premier est celui que les produits bancaires ne présentent aucun risque. La crise a montré qu'il n'existait pas de risque zéro et que les banques pouvaient faire faillite à l'image de Lehman Brothers et que cela touchait aussi la banque traditionnelle de particuliers comme Northern Rock ou Icesave (et ce phénomène n’est pas circonscrit qu'à l'étranger puisqu'il arrive exactement la même chose au Crédit Foncier et ce n'est en rien lié à des errements sur les marchés mais à la structure de son activité et les dysfonctionnement du marché interbancaire).
- Le second est que le risque peut être géré, qu'il est possible pour des professionnels utilisant des instruments sophistiqués de l'isoler à part et de le "réassurer". Là encore la gestion de portefeuille, la titrisation ou les produits sophistiqués de mutualisation / couverture / rehaussement de crédit comme les CDS (Credit Default Swap) n'ont pas permis de circonscrire les risques sous-jacents des actifs lors de la crise. Il faut bien comprendre que in fine ce sont les "vrais" actifs sous-jacents qui font la rentabilité d'un produit financier. Contrairement à ce que l'on peut croire, une assurance-vie, placement par excellence en France, ne présente aucunement la garantie que la règlementation leur accorde. Ce n'est qu'une "boite noire" investie dans des actifs sous-jacents qui eux portent le véritable risque. Les garanties en capital de ces produits ne valent que si leurs émetteurs ont la solidité financière de les assurer.
- La crise a ainsi remis en cause les catégories traditionnelles (produit de marché = risque, produit de banque et d'assurance (dans le sens de assurance vie) = pas de risque) et rappelé qu'un produit financier est toujours un arbitrage entre risque et rendement (et qu'à contrario il n'existe pas de produit financier à haut rendement et faible risque comme le pensent néanmoins encore plus de 25% des français en queue de peloton des pays de l'OCDE en matière de culture financière). La crise a aussi rappelé que cette "règle du sous-jacent" s'applique à tout le monde et pas seulement à des banques d'affaire ou des hedge funds spéculatifs. Natixis, la banque d'investissement des deux figures de respectabilité et de conservatisme bancaire que sont les Banques Populaires et les Caisses d'Epargne est là pour l'illustrer.
Choix et Transparence / Traçabilité de l’affectation des fonds
Les banques peuvent-elle échapper à cette situation ? Peuvent-elle retrouver de la transparence ou, a minima, de la lisibilité pour rendre compte de leur activité ?
Deux types de réponse sont possible :
- Une réponse "Macro" au niveau de la gouvernance de la banque dans son ensemble
- Une réponse "Micro" au niveau de l'information et du pouvoir donné au client ou dans les produits
Ces deux types de réponse peuvent elle-même s'exprimer selon deux axes :
- Une participation ou une influence sur les choix de la politique financière de la banque
- Une transparence / traçabilité de l'activité exercée par la banque
Le tableau suivant illustre ces différents cas de figure :
Choix de l'affectation des fonds | Choix et Transparence / Traçabilité de l'affectation des fonds | |
Macro (gouvernance) |
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Micro (clients et produits) |
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En terme de gouvernance, les banques mutualistes ont remis sur le devant de la scène la spécificité de leur système de gouvernance, un temps délaissé, et entendent en faire un argument commercial (cité dans les publicités TV Crédit Agricole et Crédit Mutuel), voire même aussi leur organisation en caisses régionales (utilisé dans les publicités presses du Crédit Agricole, voir aussi ce film du Crédit Agricole Pyrénées Gascogne faisant partie d'une initiative "Une banque qui aime son territoire" ). Elles réinvestissent sur cet aspect tant pour développer le sociétariat (le Crédit Agricole s'est ainsi fixé de passer de 32% de sociétaires à largement plus de 50%) qu'en revitaliser le fonctionnement (pédagogie, professionnalisation, utilisation d'internet,…) (par exemple le portail d'information du Crédit Agricole). Ce mode de gouvernance fonde le caractère "responsable" de la politique financière appliquée par la banque qui est décidée et revue par ces instances mutualistes.
Ce domaine du contrôle de la gouvernance n'est néanmoins pas réservé aux banques mutualistes puisque la banque anglaise Co-operative Bank (qui est une banque commerciale) s'est aussi fixée des principes éthiques clairs et étendus sur lesquels elle fait reposer son positionnement.
Le Crédit Coopératif, qui est une banque mutualiste, va plus loin puisqu'il se positionne de manière plus focalisée sur les associations et les activités sociales mais surtout il affiche sa volonté de rendre compte de son activité en toute transparence en décrivant précisément l'affectation de tous les fonds (p36-37 de la présentation du Groupe) et en donnant un niveau de détails et de certifications externes avancés.
Concernant les produits financiers qui permettent aux clients d'exercer des choix d'affectation des fonds, il s'agit avant tout des produits "fléchés" ou des produits de partage :
- Des produits de partage qui prélève une fraction des transactions ou des revenus pour les reverser à des organisations caritatives choisies. Par exemple la carte bancaire ou le livret "Agir" du Crédit Coopératif dont la fraction des revenus collectée est reversé à une organisation sélectionnée par le consommateur : Action contre la faim, France Nature Environnement, AIDES,…
- Des produits de placement dont une partie est "exposée" sur des thématiques fléchées. Typiquement les Fonds Communs de Placement d’Entreprise Solidaire (FCPES) dont 90% à 95% sont placés en monétaire et 5% à 10% "exposés" sur des projets solidaires (cette part est restreinte car considérée comme risquée). Ces fonds ne pouvant règlementairement pas être investis dans les actifs des projets en direct (actifs catalogués par nature comme très risqués du fait de leur faible liquidité de type billets à ordre ou actifs non cotés et, de ce fait, réputé très risqués), ces produits se retrouvent au final investi dans d'autres produits "d'interposition" (de type fonds solidaires investis partiellement dans des projets) certes de plus en plus "exposés" mais avec un facteurs de dilution. Ce qui aboutit au final à une exposition extrêmement faible (voire symbolique).
- Des produits de placement répondant à des règles éthiques d'affectation des fonds, comme il en existe maintenant un large choix (voir par exemple "j'épargne utile")
- Des produits de "cash-back" à réaffectation qui permettent de capitaliser sur des transactions, de se constituer un "compte" d'unité équivalente monétaire et d'en contrôler l'affectation. Deux produits illustrent cette catégorie :
- Capital Koala qui permet de verser des cash-back commerçants sur un compte épargne enfant
- Tookets qui est une monnaie virtuelle de reversement introduite par le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne. Elle permet de capitaliser sur un grand nombre d'avantages et d'en faire bénéficier des acteurs externes désignés au choix du client (associations,…) qui sont aussi impliqués dans le système.
Dans la dernière case qui associe choix de la politique et transparence / traçabilité de l'affectation des fonds, il n'existe à ma connaissance qu'un acteur bancaire : La Nef, une banque éthique (rattachée opérationnellement au Crédit Coopératif) qui publie annuellement pour ses sociétaires un document décrivant en détail l'ensemble des prêts accordés (avec le nom, la localisation, le montant du bénéficiaire et la description du projet – voir ci-dessous)
Pour obtenir le choix au niveau de granularité le plus fin des projets et une transparence / traçabilité totale de l'affectation des fonds par contributeur, il n'y a que la finance participative (FriendsClear, Babyloan, MyMajorCompany, Kickstarter, Ulule,…) mais là aucune banque ne le fait (aucune banque française, une banque européenne ayant semble t-il un projet en la matière…).
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