Comme aime à le faire remarquer ma femme et un de mes meilleurs amis, qui sont tous deux docteurs, je ne suis qu'un autodidacte. J'ai en effet réalisé une thèse, je l'ai pré-soutenue mais je ne l'ai jamais soutenue.
Pourquoi ? Parce que ma thèse portait sur la gestion des connaissances, domaine émergent et porteur à l’époque où je l'ai entamée (en 1993) et que ma recherche m'a conduit à me dire qu'il fallait privilégier l'expérimentation à la théorie. Suite à mes travaux, j'ai eu l'opportunité d'entrer chez Arthur Andersen Business Consulting qui ouvrait une ligne de service "Gestion des Savoirs" et j'ai saisi cette opportunité. Il me manquait 6 mois pour finir ma thèse mais les 6 derniers mois sont souvent les plus intenses. J'ai continué de travailler dessus, de me réinscrire tant que cela a peu être possible (et même au-delà), de prendre des congés sans solde,... mais le temps n'est pas compressible….
A posteriori avec plusieurs années de recul, je pense que la gestion des connaissances a échoué dans son projet. Les connaissances ne sont pas des "objets" formalisables et gérables en tant que tel. Elles le sont dans certains cas, le savoir scientifique en premier lieu, mais aussi tous les savoirs techniques. Le pilotage d'une centrale nucléaire ou d'un haut fourneau en sont des illustrations (il s’agit de cas réels de modélisation des connaissances). Mais dans beaucoup d'autres cas, la collecte, la formalisation et la mise à disposition de connaissances "objectivées" sont illusoires, notamment dans des domaines tel que la gestion de la relation client, l’optimisation des processus, le management d'équipe, le service client, l'innovation, etc...
Je ne dis pas que l'on ne peut pas le faire. Certains y ont même réussi (Accenture et General Electric y ont notamment beaucoup travaillé). Ce que je dis c'est que ce n'est pas le bon chemin pour le faire et que l'efficacité ne sera généralement pas au rendez-vous. D’ailleurs, y a t-il un système de “gestion des connaissances” présent dans votre entreprise ? Dans chacun des trois grands groupes américains dans lesquels j'ai travaillé, il y avait des intranets géants structurés en de très nombreuses catégories et donnant accès à des dizaines, voire des centaines de milliers de documents, une forme de capitalisation des connaissances. Le problème dans ces bases géantes, c'est que l'on ne trouve jamais la réponse à la question que l'on se pose. J'ai déjà rédigé précédemment un billet sur ce sujet.
En deux points, je dirai que :
- Les connaissances (des domaines évoqués ci-dessus) sont fondamentalement contextuelles (constructiviste dirait un scientifique). Elle se "construisent" en situation. Elles ne sont pas "prêtes à l'emploi" stockables et directement accessibles. Une évocation plus poétique est de dire que dans la connaissance le chemin est tout aussi important sinon plus que la destination.
- Leur gestion reposent fondamentalement sur les hommes parce que ce sont eux qui les “construisent” en situation. Il ne faut pas rechercher des connaissances collectées et formalisées, il faut rechercher des hommes qui pourront soit restituer une connaissance en contexte de la question posée ou orienter vers d'autres hommes ou des éléments de connaissances utilisables pour "construire" la réponse. C'est pour cela que les réseaux sociaux sont si importants et qu'ils ont pris le pas sur les systèmes de gestion de connaissances dans les entreprises car ils constituent des "filtres" à connaissances. Aadvark, un service pour poser des questions en temps réel dans un réseau social sur la base de l'identification des personnes à solliciter par rapport à leur profil (racheté par Google) en est l’exemple.
Pour ceux qui y portent intérêt et qui ont du temps, ma thèse est ici Elle date certes un peu mais rien n'a véritablement changé depuis. Il n'y a eu aucune révolution conceptuelle à ce que je sais. Ainsi est la connaissance, constamment “reconstruite”.
Merci Nicolas, je lis toujours ton blog avec intérêt, cependant, je n'irai pas jusqu'à lire les 300 pages de cette thèse :-)
Bon, j'en conclus qu'on ne remplacera pas les professions intellectuelles par des robots d'ici peu, youpi!
A+
-Roland Le Franc
Rédigé par : Roland Le Franc | 27 juillet 2010 à 10:29
je suis moi aussi doctorante, je travaille sur la gestion des connaissances, j'ai commençer la lecture de ta thése
pouvez vous m'envoyer l'émail
Rédigé par : homri sabiha | 13 octobre 2011 à 16:02
Intéressant.. et surtout effrayant!
En effet, bon nombre de grands projets de KM ont échoué car limités à un outillage ou à un objectif de ROI..(surement atteignable mais sur le long terme je pense!)
Concernant votre thèse, je ne pense pas qu'il y ait de regrets a avoir car en france, vous l'auriez passé et eue et apres??
Le point intéressant que vous mettez en avant est la contextualisation de l'information. Ce point est trop rarement pris en compte alors qu'il parait effectivement essentiel!
Un exemple: la culture d'entreprise. Automatiquement lors d'une fusion, la culture d'entreprise est reconstruite dans de nouveaux locaux. Cela permet de comprendre l'importance du "chemin" dans la connaissance et du rapport de l'homme à l'architecture et aux trajets qu'il emprunte dans celle-ci...
D'ailleurs, lorsque les japonais parlent de connaissances tacites, ils sont obligés de passer par des concepts qui sont contextuels pour transmettre leur vision des choses....
Je lirais votre thèse avec plaisir, bonne chance sur le chemin de la connaissance....
Cdt
Rédigé par : favel | 26 juin 2012 à 10:45